Question de l'habitat et de l'urbain : réfléchir sur l’Afrique en partant de l’ Afrique
- Sidiki DAFF
- n. 19 • 2015 • Instituto Paulo Freire de España
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Question de l'habitat et de l'urbain : réfléchir sur l’Afrique en partant de l’ Afrique
Sidiki DAFF, président du Centre de Recherches Populaires pour l'Action Citoyenne-CERPAC ; Coordinateur de la Coalition des Organisation et Réseaux Africain pour l'Habitat-CORAH
Militer pour un monde juste, suppose accepter les différences situationnelles dans lesquelles vivent les mouvements en lutte. L' euro-centrisme est malheureusement très ancré dans certains réseaux luttant pour l'accès à un habitat décent. Le reste du monde est lu avec le prisme déformant de l'Eurocentrisme (qui se couvre d'un universalisme). Cette conception n'est pas éloignée de la conception coloniale dont l'Afrique a été victime.
La mondialisation néolibérale crée une situation dramatique dans les villes du monde
La mondialisation néolibérale, fondée sur l'exclusion et l'inégalité sociale, est à l'origine d’innombrables violations des droits économiques et sociaux, en particulier le droit à la ville, à l'habitat et à la terre. Plus d’un milliard de personne sont ainsi exclues de l’accès aux services sociaux de base, ce qui accentue les inégalités car les États, arrimés au marché mondial, ont abandonné toutes leurs prérogatives de régulation pour une plus grande équité dans la répartition des richesses produites.
Dans les zones urbaines, des centaines de millions de personnes vivent dans des milieux insalubres faute d’assainissement ou sont expulsées de leur zone d’habitat au profit des spéculateurs fonciers ou pour la construction d’infrastructures initiées par les multinationales et/ou des États au service du capital international.
L’Afrique n’est pas en reste : le continent a intégré la globalisation économique au forceps et la plupart des États sont soumis au diktat des bailleurs de fonds et des institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI) qui prônent une privatisation des services sociaux de base jugés non rentables commercialement.
Cette politique de marchandisation des services sociaux (eau, habitat, santé, éducation etc.) est supposée constituer une réponse à la crise de la dette contractée par les États depuis le début des années des indépendances (1960). Cette dette injuste, placée par les régimes corrompus d’Afrique dans des paradis fiscaux occidentaux, n’a pas servi le développement des pays. Au contraire, elle a enrichi une caste politique parasite qui s’est maintenue au pouvoir grâce au soutien des pays occidentaux.
Pour faire face à la crise de la dette, des plans d’ajustement ont été initiés en Afrique qui se résument globalement par « moins d’État et mieux d’État » c'est-à-dire que l’État doit se retirer des secteurs économiques et sociaux au profit du privé. Tous les secteurs ont été ainsi privatisés au profit des grandes firmes internationales, l’État reste confiné dans la création d’un cadre juridique favorable au capital privé étranger.
Ces politiques d’ajustement ont eu pour principale conséquence la généralisation de la pauvreté. Des statistiques récentes de la Banque mondiale établissent qu’en l’espace de 25 ans, la pauvreté a connu un net recul dans le monde, sauf en Afrique subsaharienne où le nombre de pauvres continue d’augmenter. Elle croît en valeur absolue avec 384 millions de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour en 2005, contre 202 millions en 1981. Ainsi, en Afrique, la dégradation continue des conditions de vie des populations est le phénomène le plus préoccupant, au point que la lutte contre la pauvreté est devenue le thème de ralliement des États, de la société civile et des organisations internationales.
Partout en Afrique les États ont élaboré des documents de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) définissant leurs politiques et programmes macroéconomiques, structurels et sociaux pour promouvoir la croissance et réduire la pauvreté sous la houlette de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Ces stratégies de réduction de la pauvreté sont censées mettre en relation les États, les bailleurs de fonds et le système des Nations unies dans l’optique de réaliser les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) entre autres.
À la vérité, les stratégies de réduction de la pauvreté n’ont pas réussi à sortir un nombre significatif d’Africains de la misère. Dans tous les pays de l’Afrique subsaharienne, plus de la moitié de la population vit aujourd’hui encore sous le seuil de pauvreté. Ces DRSP portent les germes de leur échec car les politiques macro-économiques en cours sont tournés vers la privatisation des services sociaux de base, secteur essentiel pour les populations les plus démunies. Ainsi les DRSP se sont avérées du saupoudrage car ils initient des politiques de survie à travers des microcrédits et de petits projets qui n’ont aucun effet sur la structure macroéconomique. Bref, c’est un leurre et certaines ONG se sont faites les « porteuses de valises » des bailleurs de fonds et de la coopération internationale (bilatérale ou multilatérale) en s’engageant dans cette politique de dupes. Les villes africaines qui absorbent de plus en plus l’essentiel de la population (exode rural et fort taux de croissance naturelle) sont devenues de véritables bassins de misère.
Le discours actuel des économistes se veut optimiste en criant partout que la « croissance africaine » tire le monde, mais en réalité cette croissance est appauvrissante en Afrique car les populations n'ont senti aucune retombée positive sur leurs conditions de vie. Concrètement elle est factice.
La problématique urbaine en Afrique
Une urbanisation galopante : l’Afrique est de plus en plus urbaine
La question urbaine est un défi majeur en Afrique en ce début de 21 e siècle. Le discours politique et sociologique continue à se focaliser sur une Afrique à dominante rurale, occultant une tendance majeure : une urbanisation inexorable avec la délocalisation du monde rural vers les grandes villes et les centres secondaires.
L’Afrique de l'Ouest a connu les villes de tous temps et certaines d'entre elles ont très tôt compté des populations importantes et joué un rôle très important, dépassant les frontières géographiques nationales [1]. La colonisation européenne s'est accompagnée d'une intense création urbaine, tant pour les besoins de l'administration du territoire (Ouagadougou, Bamako) que pour l'exploitation des ressources locales. Des ports ont été créés, souvent associés au chef-lieu administratif. Entre 1950 et 1975, l’Afrique occidentale a connu une phase d'urbanisation intense, sous l’effet combiné des migrations (exode rural) et d'une croissance naturelle forte (2,7 % l'an). D’ici 2020, plus de 50% de la population africaine sera urbaine car la dégradation des conditions de vie en milieu rural et l'accaparement des terres par les multinationales et les appareils politico-bureaucratiques nationaux poussent ces populations à s’installer dans la périphérie des grandes villes dans l’espoir d’y trouver des moyens d’existence.
La croissance accélérée des villes est devenue un véritable cauchemar pour les États, avec notamment les occupations anarchiques de l’espace. L’État n’est pas en mesure d’édicter et de faire respecter des règles précises en matière d’urbanisme et de mise en valeur des zones à urbaniser car les politiques d’ajustement ont amenuisé ses capacités de gestion du phénomène urbain. Parfois pour affirmer son autorité et essayer de stopper cette « désobéissance civile », il utilise la politique du bulldozer sur certains taudis localisés.
Le transfert des compétences en matière d’urbanisme et d’aménagement urbain de l’État aux municipalités n’a fait qu’accentuer le désordre urbanistique car non seulement elles ne disposent pas des compétences techniques/financières mais en outre les maires sont devenus de véritables spéculateurs fonciers, ce qui engendre des conflits permanents avec les populations. Ainsi « une planification urbaine semble tout à coup un but impossible à atteindre faute sans doute d’une techno-bureaucratique² suffisamment puissante ou faute d’un véritable pacte social faisant apparaître la ville comme une œuvre partagée. » [2]
Aménagement de l’espace urbain et accès au foncier
L’essentiel des villes de l'Afrique de l'Ouest porte encore la marque « du choc colonial [qui] a constitué un élément décisif de l'urbanisme africain contemporain par la juxtaposition et l'inévitable interpénétration des deux modèles apparemment contradictoires : le, ou plutôt, les modèles autochtones anciens, et le modèle spécifique colonial-blanc-métropolitain » [3]. A côté des zones portuaires et industrielles, des quartiers d'affaires et des quartiers résidentiels de Dakar, Lomé, Bamako, Ouagadougou... où résidaient autrefois l’administration et le monde des affaires liés à la colonisation, on trouve à présent de vastes quartiers d'habitat populaire en évolution continue à partir des modes de construction traditionnelle, sur des terrains mal desservis par les différents réseaux urbains et parfois même non lotis. Quelques quartiers mieux tracés et plus ou moins bien équipés abritent une petite partie de la population urbaine, notamment la petite bourgeoisie. Dans presque toutes les villes de la sous-région on retrouve cette configuration : les quartiers des affaires, les quartiers résidentiels pour la bourgeoisie et les classes moyennes et les quartiers populaires à la périphérie, dépourvus de services et très précaires. Cette configuration sera maintenue et accentuée au lendemain des indépendances (1960).
Au début des indépendances, les États ont mis en place des sociétés immobilières pour fournir des logements sociaux. Le terme « logement social » est souvent utilisé abusivement car ces logements sont destinés à une petite bourgeoisie en émergence (fonctionnaires, salariés du privé, professions libérales etc.) Dans les années 80 ces sociétés immobilières seront privatisées avec les plans d’ajustement imposés par les bailleurs de fonds. Ainsi l’État se retire de l’aménagement de la ville et de la gestion du logement au profit du privé national. Mais ces nouveaux promoteurs immobiliers feront à un problème énorme. En effet dans la majeure partie des pays de la sous-région, deux législations foncières coexistent : la législation héritée de la colonisation (française ou anglaise) dont l’État est le promoteur (25 ou 30 % du sol urbain) et une législation traditionnelle que ni le système colonial ni l’État post-colonial n’ont réussi à éradiquer. Ainsi l’accès au foncier se fera suivant ces deux modes même si le deuxième est déclaré officiellement caduc et illégal. Les populations pauvres installées à la périphérie privilégieront le mode de tenure traditionnelle qui a une certaine résonance culturelle pour elles. Mais le mode d'accès traditionnel au foncier est très précaire car les États ont procédé à des expulsions massives en fonction des besoins, pour construire de nouveaux logements pour une clientèle plus fortunée.
Au décompte plus des 2 /3 de l'habitat de l'Afrique de l'Ouest est produit en dehors de toutes règles officielles de construction et d'hygiène, sous forme d’auto-construction familiale. Cet habitat se caractérise par son informalité, un mode d’urbanisation souvent spontané ne se référant pas au plan d’urbanisation étatique. De véritables villes produites par les habitants sont nées auprès de la ville officielle, celle délimitée par le plan urbanistique. Dans ces zones, les populations sont apparues comme des « faiseurs de ville » car elles ont tenté tant bien que mal de créer leur mode d’urbanisation et de construire les services de base utiles à une ville (éducation, santé etc.) par leurs propres moyens.
Ces quartiers, parfois construits dans des zones non aedificandi [4] (marécages, cuvette, lit de fleuve etc.), ne sont pas à l’abri de calamités naturelles. En 2009, des quartiers populaires du Sénégal, du Burkina Faso et du Mali ont été noyés par des inondations et les États ont été incapables d’apporter des réponses à ces calamités.
Les périphéries sont de grandes banlieues souvent faite de bric et de broc à cause de l’absence d’une politique d’habitat social pour les populations les plus démunies. Depuis quelques décennies, ces zones sont victimes d’inondations répétitives car pour l’essentiel, les États n’ont jamais jugé nécessaire la mise en valeur de ces espaces par une politique d’aménagement urbain adéquat.
Cette mauvaise urbanisation, le délaissement des quartiers populaires par les États (pas d'infrastructures de base, par exemple des canaux d'évacuation d'eau) ont eu des conséquences désastreuses sur l'habitat populaire avec les pluies diluviennes qui se sont abattues sur ces pays (notamment Bénin, Burkina Faso, Mali, Sénégal). Des quartiers entiers ont été emportés par les eaux pluviales ou le débordement des fleuves de leur lit comme au Burkina Faso.
Quartiers précaires et inondations
Les inondations en Afrique de l'Ouest et centrale ont affecté en 2010 près de 2,5 millions de personnes avec parfois des pertes en vies humaines [5].
Ces inondations sont venues aggraver la précarité des populations urbaines et rurales de manière durable. Dans les grandes villes comme Bamako, Dakar, Lomé, Cotonou, Ouagadougou, les quartiers populaires situés à la périphérie ont été les plus touchés.
La pluie n’est pas la cause de ces inondations, elle a été un révélateur des mauvaises politiques urbaines mises en place par les différents États. Les nouvelles politiques de construction d'infrastructures (routes, échangeurs, ponts etc.) ont aggravé les inondations. Aujourd’hui ce sont des centaines de milliers de maisons qui sont sous l’eau. Faute d’alternatives les populations refusent cependant de quitter ces zones, s’exposant à diverses maladies, telles le paludisme ou le choléra.
Ces zones sont révélatrices de l’incapacité avérée des États ouest-africains à développer une urbanisation intégrante. Ce sont des États prédateurs plus soucieux d’enrichir leurs alliés. L'émergence des quartiers populaires périphériques a toujours constitué un problème majeur d'urbanisation pour les États de la sous-région qui ont cherché à freiner la « bidonvillisation », souvent en procédant à des destructions de quartiers et à des délocalisations dans des zones éloigné de la ville formelle. Dans un pays comme le Sénégal, la lutte contre la formation des bidonvilles a été efficace car les logements en matériaux précaires ont laissé place à un habitat en dur (ciment), mais sans pour autant donner un logement décent pour tous.
Les conditions de vie dans les quartiers précaires seront aggravées par le déplacement des populations issues du monde rural, fuyant la sécheresse et la famine.
Les gouvernements burkinabé et sénégalais ont essayé d'apporter des réponses à cette catastrophe.
Les exilés de Yagma, Ouagadougou (Burkina Faso)
Après les inondations de septembre 2009, le gouvernement burkinabé reloge les sinistrés à 20 km de Ouagadougou.
Située au nord de Ouagadougou (capitale du Burkina Faso) Yagma ressemble à un camp de réfugiés. C'est le gouvernement qui a choisi de réinstaller les victimes des inondations de septembre 2009 très loin du centre de Ouagadougou. Ce jour-là, les retenues d’eau débordent du fleuve, 45 quartiers sont inondés soit 125 000 personnes sont touchées.
Dans un premier temps, des milliers de familles ont été hébergées à la va-vite dans des camps improvisés. Le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’État apportent la nourriture, les ONG se chargent de l’assainissement. Un mois plus tard, les sinistrés sont regroupés dans 21 sites plus grands. Interdits de retourner dans leur ancien quartier, jugé à risques, ils finiront par se poser à Yagma en janvier et février 2010. Un site jusqu’alors désert que l’État et la ville de Ouagadougou aménagent sommairement (pistes, puits) et divisent en de petites parcelles (18 000) dont les sinistrés deviennent propriétaires. À eux, ensuite, de construire leur propre maison avec les 50 000 F CFA (environ 76 euros) et le matériel de construction (tôle, ciment) alloués par le gouvernement. Cette « ville nouvelle » a tous les traits d’un camp de réfugiés : des tentes blanches par milliers, des pistes et des parcelles aléatoires, des puits de fortune… Les écoles se font attendre, tout comme l’électricité. Nombre d’entre les sinistrés ont dû faire un choix : perdre leur emploi et s’installer ici, ou vivre en ville et laisser leur famille pour « occuper » la place. Ceux qui avaient leur propre commerce n’ont pas été confrontés à ce dilemme : ils ont tout perdu et rares sont ceux qui, à Yagma, ont pu relancer leur activité. La mobilité est un véritable casse-tête car l'essentiel des sinistrés tirent leurs maigres ressources à Ouagadougou, distance qu'ils parcourent en vélo en 02 heures.
Pour faire face aux inondations, l'État sénégalais propose des logements en location-vente aux pauvres
Tout est parti de l’hivernage 2005, à la suite des inondations connues dans la banlieue. Prenant l’affaire en main, le chef de l’Etat s’adressant à la nation à travers un discours, lance son «plan Jaxay ». Mais les choses semblent avoir été faites en dehors d’études techniques rigoureuses car les institutions, pourtant intéressées au plus haut niveau par cette décision présidentielle, ne seront pas impliquées au départ du lancement de ce plan qui nécessite pourtant la mobilisation de 52 milliards de F Cfa (80 millions euros). Environ cinquante mille (50 000) familles sinistrées sont comptabilisées. Le chef de l'État prendra pour prétexte ces inondations pour renvoyer les élections législatives prévues, le budget y afférant sera affecté théoriquement à la construction des logements du plan Jaxaay car «devant la situation désastreuse à laquelle les populations étaient exposées, l’État ne pouvait se permettre d’organiser les élections législatives au mois de mai 2006 à hauteur d’un budget de 7 milliards», dixit le chef de l'État. Mais il ne s’agissait pas seulement de mobiliser des fonds.
C’est ainsi que le gouvernement a entrepris l’élaboration dans l’urgence d’un plan de déplacement et de recasement des populations vers un camp militaire désaffecté, les écoles publiques etc. Par ailleurs, des sites ont été identifiés pour y édifier des cités dans le but de caser les populations sinistrées qui devaient quitter leur maison malgré la réticence des chefs de famille qui ne veulent pas faire ce saut vers l’inconnu d’autant plus que l’État est suspect. Dans un premier temps, moins de 2000 logements sont construits mais l’hivernage suivant, c'est-à-dire en 2006/2007, le site de recasement montre ses limites car il sera envahi par les eaux pluviales. Les populations se retrouvent dans la situation initiale qu’elles avaient laissée dans la banlieue.
Ce plan porte trois tares congénitales qui expliquent son échec :
- il est irréfléchi car non conçu en tenant compte des facteurs à l’origine des inondations. C’est un coup de tête du chef de l’État. C’est après son lancement que l’État a commencé à lui donner un contenu. En effet si au départ, l’État a parlé de livrer les nouvelles maisons gratuitement, il s’est rapidement ravisé car désormais les acquéreurs devront s’acquitter d’un loyer mensuel que les occupants ne peuvent respecter faute de ressources. Bref c’est le serpent qui se mord la queue;
- Il a été conçu sans aucune participation des principaux concernés c'est-à-dire ceux qui sont touchés par ces calamités. Cela explique du reste leur réticence à adhérer à ce plan.
La perception de l'habitat est un fait culturel
L'habitat renvoie à un cadre de vie large dont le logement n'est qu'une composante. En Afrique Occidentale, se focaliser sur le logement déconnecté de son environnement n'est pas porteur, cela relève à la limite d'un mimétisme de mauvais aloi. Autant en Europe on peut comprendre que le combat soit porté sur l'accès au logement, autant en Afrique une telle démarche est problématique. En effet la nature et la composition des familles posent plus la problématique du cadre de vie dans sa globalité, l'accès au logement y étant intégré. Dans la sous-région ouest-africaine en transition, la prégnance du capitalisme (avec l'individualisme comme corollaire) est atténuée par une sorte de « communautarisme » hérité du monde rural dans les conditions d'une urbanisation galopante. La structure des ménages [6] est très ouverte et a une capacité d'absorption énorme des nouveaux arrivants issus du monde rural car les liens de parenté sont encore entiers. On dénombre (pour simplifier sans entrer dans des nuances complexes) 2 types de familles (qui par moment s'enchevêtrent) :
- les ménages mononucléaires composés d'un seul noyau familial (le père avec sa femme (ou ses femmes), les enfants et les parents pris en charge);
- les ménages polynucléaires avec plusieurs noyaux (les individus apparentés vivant dans la même maison avec leur famille).
En Afrique, le capital international n'a pas investi dans la construction du logement. Les principaux acteurs sont l'État, les promoteurs immobiliers nationaux (avec une très faible marge financière) et les particuliers. Pour autant la spéculation foncière est très forte car il y a une grande demande pour l'accès à l'habitat dans les zones urbaines particulièrement les capitales qui monopolisent l'essentiel des infrastructures économiques. L'État ouest-africain [7] est un prébendier, ce qui explique que la bourgeoisie politique-bureaucratique (liée à l'État) soit le principal spéculateur foncier ainsi que ses démembrements (communes).
Dans ces conditions, les revendications des mouvements sociaux s'articulent plus sur le droit à la ville et à un habitat sain.
Les mouvements populaires et le droit à la ville
Il existe un véritable mouvement populaire dans presque tous les pays de la sous-région ouest-africaine. En effet les habitants, en l'absence de prise en charge de leurs préoccupations par l'autorité centrale ou municipale, s'auto-organisent pour trouver des alternatives aux interpellations quotidiennes. Ce sont souvent des réponses collectives à l'échelle d'un quartier ou d'un pâté de maisons, facilitées : par une proximité cultivée, une communauté culturelle et une claire conscience d'un destin commun. Le foisonnement des organisations communautaires est le signe de cette volonté d’auto-prise en charge pour améliorer le cadre de vie sans se référer à un quelconque sauveur.
Dans les différentes villes affectées par les déguerpissements provoqué les États, de véritables îlots de résistance se sont créés, comme le mouvement spontané « Nous pas bouger » au Burkina Faso (refus de quitter leur zone d'habitation menacée de démolition), l’Union pour la défense des démunis au Mali [8] qui organise des manifestations pour faire face à la spoliation foncière ou a recours à des avocats pour défendre les droits de ses membres, le Réseau And Suxxali Medina Gounass au Sénégal, qui défend les intérêts des populations victimes des inondations dans la banlieue de Dakar. Ces différents mouvements défendent plus leur cadre de vie.
Quelles alternatives pour un habitat décent ?
État et habitat social
La problématique de l'habitat est aujourd'hui en Afrique de l'Ouest un problème crucial. Depuis les indépendances, les États ont dit théoriquement vouloir construire des logements sociaux pour les démunis. Ce discours ne correspond pas à la réalité des faits car « lorsque la puissance publique institue un office public d'habitation sociale ou une société parastatale du même acabit, elle a bien l'intention de produire des logements à loyer modéré accessibles à tous. En fait elle ne sert qu'une toute petite partie du peuple, triée sur le volet. Car en réalité, ils ne sont pas destinés aux pauvres mais aux classes moyennes en expansion au lendemain des indépendances » [9].
Toutes les sociétés étatiques ou privées sont destinées à une classe moyenne ayant un revenu régulier (fonctionnaires, agents du privé) pouvant s’insérer dans les circuits bancaires classiques. D'ailleurs dans certains des pays de la sous-région, les banques promotrices de l'habitat sont des sociétés d'État (Togo, Sénégal, Mali) qui font des prêts à des taux usuraires. Ce sont les seules sociétés bancaires contrôlées encore par les États parce que ne présentant aucun risque tant la demande en logement est exponentielle.
Les coopératives d'habitat
Beaucoup de pays de la sous-région ont mis en place une législation encadrant les coopératives d'habitat, qui sont perçues comme un moyen pour faciliter l'accès à l'habitat à coût moindre. Ce sont soit des fonctionnaires, soit des travailleurs du secteur privé formel qui s'organisent pour avoir accès à un habitat décent en se cotisant sur de longues années. Ces fonds sont logés dans les banques de l'habitat sous contrôle étatique. À ce niveau aussi, ce sont les salariés qui sont concernés car la condition sine qua non d'adhésion est la capacité de cotiser une certaine somme d'argent pour espérer un terrain et, dans le meilleur des cas, un logement.
On est loin des coopératives d'habitat susceptibles de fournir des logements aux plus pauvres des villes. Certaines ONG proposent des coopératives, soi-disant pour aider les pauvres, mais en réalité elles tombent entre les mains des catégories ayant un certain revenu. Or, les couches populaires se caractérisent par une pauvreté absolue, l'absence de revenus pérennes et suffisants. Ces catégories vivent avec un dollar/jour (1$) et développent des stratégies de survie faites de vente à la sauvette, de récupération et de débrouillardise. Elles ne peuvent participer à ces coopératives, l'alternative n'est possible que par une implication totale de l'état
Quelles alternatives populaires pérennes ?
La question de l'accès à un logement doit être ramenée dans une approche par le droit, c'est-à-dire que l'État doit assumer ses devoirs vis-à-vis du citoyen quelle que soit sa catégorie sociale. Il est tenu de respecter les textes édictés en s'impliquant directement dans la fourniture du logement aux plus vulnérables, cela ne peut être délégué aux sociétés privées qui sont en quête de profits.
En Afrique, la question du logement doit relever du service public car les investissements structurants concernent la ville dans sa globalité (canalisations, terrassement, routes, adduction de canaux d'eau etc.) et sont très lourds; aucune ONG ou association n'est capable de prendre en charge ces investissements. D'ailleurs ce n'est pas leur rôle.
Une telle démarche suppose que le mouvement social urbain ouest-africain articule ses luttes et revendications aux différentes échelles de territoire pour sortir du nombrilisme localiste et faire pression sur ces État s prédateurs.
[1] Les villes du commerce transsaharien telles Koumbi Saleh, Ouadaghost, Tombouctou, Ifé au Nigeria, etc.
[2] J.-F. Tribillion , « Interventions d’urbanisme en Afrique atlantique », décembre 2002, http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article11
[3] C. Coquery-Vidrovitch, Processus d'urbanisation en Afrique, Tome 2, coll. « Villes et entreprises », éditions L’Harmattan, 1990.
[4] « Ne pouvant recevoir un édifice » : terme latin signifiant qu’une zone n’est pas constructible, en raison de contraintes structurelles, géographiques, architecturales, militaires ou autres.
[5] Nigeria : 118, Ghana : 52, Soudan : 50, Bénin : 43, Mauritanie : 21, Burkina Faso : 16 et Gambie : 12.
[6] « Le ménage est constitué par l'ensemble des personnes vivant dans dans la même unité d'habitation [ici le terme maison est plus indiqué que logement] et qui se reconnaissent sous l'autorité d'un chef de ménage » définition du Bureau national de recensement de la direction de la statistique du Sénégal.
[7] Au Sénégal, le président de la République est connu pour sa boulimie foncière ainsi que ses ministres qui se sont partagé les zones de maraîchage périurbaines, de villégiature, et les terres irriguées du nord du Sénégal.
[8] Ce mouvement a une extension rurale car il lutte contre l'accaparement des terres et compte plus de 80 associations membres.
[9] J.-F. Tribillon, « Le logement du peuple par le peuple : le locatif populaire en Afrique et dans le tiers-monde; faits et politiques », Revue Tiers-monde, tome 29, n°116, 1988.